L’Epée de l’Ordre

Pascal, comte Gambirasio d’Asseux Lieutenant Grand Maître et Roi d’Armes

Préambule

Cette épée comporte un élément (la garde) qui rappelle l’épée du sacre des Rois de France, aujourd’hui conservée au Musée du Louvre.

Elle présente ainsi un lien de filiation spirituelle et temporelle avec cette épée royale mais, par ses caractéristiques propres, elle manifeste la spécificité de l’Ordre dont elle est l’un des éléments majeurs.

Elle s’en distingue, en effet, par sa fusée recouverte de cuir brun-roux à quatre nervures et par son pommeau discoïdal. Le pommeau discoïdal offre plus de lisibilité aux émaillages et permet une meilleure prise en main. Le cuir demeure la manière la plus habituelle de garnir les fusées d’épées au Moyen-Âge.

L’épée de l’Ordre est portée haute, sans fourreau, en tête des processions officielles de l’Ordre par le Capitulaire et Roi d’Armes ou, à défaut, par un chevalier désigné à cet effet et le Sérénissime Grand Maître l’utilise pour les adoubements.

Elle est bénie et a reçu un nom comme il est de tradition pour les épées des preux car toute véritable épée de chevalerie possède un nom, comme d’ailleurs les cloches des églises.

L’épée ainsi nommée se trouve réellement créée et parrainée dans sa dimension et sa puissance spirituelles. Le nom de l’épée de l’Ordre de l’Etoile et de Notre-Dame du Mont-Carmel est Victrix, Victorieuse, en latin. Nous y reviendrons.

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Historique

L’épée utilisée lors du sacre des Rois de France, probablement depuis Philippe Auguste en 1179, mais de manière documentée depuis Philippe III le Hardi en 1271, s’appelait Joyeuse d’après la tradition qui veut qu’elle soit aussi celle de Charlemagne. Selon les historiens, elle a cependant été fabriquée plus tardivement, à partir d’éléments d’époques diverses.

  • le pommeau date de la fin de l’époque carolingienne : Xème siècle
  • les quillons composant la garde en forme de dragons opposés aux yeux faits de petits rubis datent du XIIème siècle
  • la poignée date du XIIIème ou du XIVème siècle
  • la plaque du fourreau ornée de pierreries a été exécutée au XIIIème siècle

Cette épée, conservée dans le trésor de Saint-Denis jusqu’en 1793, est alors entrée dans les collections du musée du Louvre. L’épée a de nouveau été utilisée pour le sacre de Napoléon en 1804, puis sous la Restauration.

Pour son sacre en 1804, Napoléon a fait recouvrir le fourreau d’un velours vert brodé de feuilles de laurier d’or, et remplacer les fleurs de lys par des pierreries. Pour son sacre en 1825, Charles X a demandé à Jacques-Eberhard Bapst-Ménière, joaillier de la Couronne, de retirer du fourreau les particularismes napoléoniens, revenant ainsi à un velours fleurdelysé, encore visible aujourd’hui.

Caractéristiques propres à l’épée de l’Ordre

La lame

Lame polie, à deux tranchants. Gouttière médiane sur les trois-quarts de la lame environ.

Elle a été forgée et gravée en 2018 par le maître forgeron Thibaud Pascual dans de l’acier provenant de l’un des tirants de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans. A noter que l’on a désormais la preuve scientifique (en particulier par le carbone 14) que des renforts métalliques (notamment entre les arcs-boutants) ont été pensés dès l’origine par les constructeurs de cathédrales comme un complément à la pierre.

D’une part, au tiers supérieur de la lame, les inscriptions suivantes sont gravées dans la gouttière :

  • Sur une face, la devise de l’Ordre : Monstrant Regibus Astra Viam
  • Sur l’autre face, le cri de l’Ordre : Maria Stella Stella Maris

D’autre part, au talon de la lame, sont également gravés :

  • Au-dessus de la devise de l’Ordre, le monogramme du Christ IHS, le H surmonté d’une croix latine (dite aussi de la Passion).
  • Au-dessus du cri de l’Ordre, le monogramme de la Vierge tel qu’il figure sur la médaille de l’Immaculée Conception (surnommée médaille miraculeuse) : un M entrelacé d’une barre horizontale sur laquelle s’appuie une croix latine.

La garde

Cruciforme comme se présentent généralement les gardes des épées chevaleresques. Elle est constituée d’un double quillon droit en forme d’animal fabuleux dont les yeux sont composés de petits rubis.

Réalisée par Thibaud Dunas, associé de Thibaud Pascual, elle est en laiton coulé artisanalement, puis a été ciselée à la main.

Le pommeau

Pommeau discoïdal en laiton à la dimension en harmonie avec la taille de l’épée qu’il doit, techniquement, parfaitement équilibrer.

* Sur le côté correspondant à la gravure de la devise de l’Ordre et du monogramme du Christ : les Armes de France (d’azur à trois fleurs de lys d’or).

* Sur le côté correspondant à la gravure du cri de l’Ordre et du monogramme de la Vierge : la croix de l’Ordre (amarante, pattée, à huit pointes) chargée en son centre d’un médaillon blanc où figure une étoile d’or à cinq branches.

Symbolique

La lame

Celle-ci concentre la puissance, autrement dit l’efficience, de l’épée. En l’espèce, la devise, le cri et les monogrammes du Christ et de la Vierge qui y sont gravés manifestent la légitimité à la fois temporelle et spirituelle de cette puissance.

Ils l’orientent et la maintiennent au service de la foi dans l’accomplissement de la vocation propre à l’Ordre.

Ces gravures ne sont donc pas le simple rappel d’éléments spécifiques à l’Ordre mais un réel appel à les intérioriser et à les accomplir, en chevaliers « de bonne volonté ». En tant que tels, ils sont, pour cette épée, les sceaux de son identité

La garde

  • Certains décrivent cette garde comme la figure d’un double dragon. On connaît l’ambivalence du dragon-serpent dans la symbolique : serpent d’airain guérisseur du peuple hébreu dans sa marche au désert1, préfigure du Christ Sauveur2 ou image de Satan, l’ange déchu, le Malin3 combattu par l’Archange Saint Michel, Chef de la Milice Céleste, patron de la chevalerie et, dans son compagnonnage et à son exemple, par tout vrai Chevalier en ce monde.

De même, le feu du rubis des yeux (fenêtres de l’âme comme l’on sait) manifeste la force intérieure : la vaillance, bien sûr, qui doit être orientée au service du Juste et du Bien, mais en tout premier lieu celle de la foi.

L’épée reflète ainsi la liberté essentielle que Dieu a donnée à l’homme. Elle exprime la force et la puissance du Bien, la Justice et la Paix qu’elle doit servir ou son possible dévoiement dans le Mal, la force illégitime et obscure. Il est de la responsabilité de quiconque en est porteur (Ordre ou individu) d’agir dans la lumière de l’Esprit et l’amour divin, non dans l’asservissement aux ténèbres du chaos et des passions humaines.

En l’espèce, cette garde cruciforme enracine et oriente l’Ordre et chacun de ses chevaliers dans les pas du Christ.

  • On peut également considérer ces figures d’animaux fabuleux, non plus comme des dragons mais comme des léopards héraldiques, ici des léopards ailés ; léopard s’entendant, non au sens zoologique, mais en tant que lion gardien du Paradis : « leo pardes » ; parèdre des Chérubins postés par Dieu à la porte de celui-ci après la Chute d’Adam4.

Ce léopard garde ce lieu, cet état d’être en vérité, pour arrêter quiconque n’est pas digne d’y entrer mais, simultanément, il « reconnaît » et ouvre la porte à ceux qui « ont lavé leur robe et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau »5.

  • Nb XXI, 8-9
  •  Jn III, 14
  • Gn III, 1-24
  • Gn III, 24
  • Ap VII, 14

La Vierge Marie, auquel l’Ordre est également consacré comme en témoigne son nom, apporte son secours indispensable au chrétien qui se remet à son amour maternel pour l’aider dans l’accomplissement de ce chemin spirituel.

Le monogramme du Christ

Le monogramme grec IHΣ, composé des trois premières lettres en majuscules du nom Iησοῦς, Jésus (iota, êta, sigma) figure parmi les plus anciens symboles chrétiens. Lorsque le latin devint la langue dominante du christianisme, le monogramme fut mal compris, le êta η majuscule étant identique à la lettre latine H. Le monogramme devint I.H.S. généralement interprété comme signifiant :

IESUS, HOMINUM SALVATOR : Jésus, Sauveur des hommes

Mais on trouve aussi ces significations :

  • IESUM HABEMUS SOCIUM : Nous avons Jésus pour compagnon
  • IESUS HOMO SALVATOR : Jésus Homme Sauveur, rencontré souvent dans des textes latins.

Très fréquemment, dès l’origine, le H est sommé de la croix de la Passion, « lieu » et « instant » du Salut des hommes et du monde.

Rappelons que, selon la tradition hésychaste, mère de la prière du cœur ou prière de Jésus, celui-ci est réellement présent par et dans son nom et donc ici, en quelque manière, par son monogramme qui en est la signature, au sens spirituel du terme.

Le monogramme de la Vierge

Ce monogramme figure sur le revers de la médaille de l’Immaculée Conception (appelée communément médaille miraculeuse), telle que cette dernière a été révélée par la Vierge Marie lors de ses épiphanies à sainte Catherine Labouré dans la chapelle de la rue du Bac à Paris en 1830. Catherine Labouré était Fille de la Charité, Société de vie apostolique féminine de droit pontifical instituée par Saint Vincent de Paul en 1633 qui en confia la formation à Louise de Marillac.

Ce monogramme est sommé d’une croix de la Passion à l’identique du IHS, dont il apparaît comme le miroir, tout comme l’invocation Speculum Justitiae des Litanies de la Sainte Vierge répond au Sol Justitiae de l’hymne en l’honneur du Christ. Comme la lune est le miroir du soleil.

La dévotion à la sainte Mère de Dieu, qui est d’ailleurs au cœur de la chevalerie, ouvre la porte au Seigneur, qui dit de lui-même : « Je suis la porte » (Jn X, 9). A nouveau, un répons de miroirs entre le Verbe incarné et sa mère terrestre.

Ici également la présence spirituelle de Marie s’actualise par son monogramme qui en est la signature au sens précité.

Le pommeau

  • Sur le côté correspondant à la gravure sur la lame de la devise et du monogramme du Christ sont émaillées les Armes de France puisque le Roi de France est le Lieutenant du Christ comme le révèle et le consacre la triple donation du Royaume de France à l’initiative de Jeanne d’Arc le 21 juin 1429 en l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (à l’époque Fleury-sur-Loire).

Voilà qui fonde et explicite pourquoi, en cette terre du Christ, la personne du Roi ne meurt pas, le fils succédant instantanément à son père : « le Roi est mort… vive le Roi ! » ainsi que :

  • Le Roi ne tient de nulluy fors de Dieu et de luy » et qu’il est toujours majeur : « le Royaume n’est jamais sans Roi ».

Ces expressions fixent de manière lapidaire la raison, spirituelle avant d’être juridique, pour laquelle ce n’est pas le sacre qui fait le Roi, mais son jus sanguinis (droit du sang) doublé de son jus soli (droit du sol), comme le confirment notamment les deux Ordonnances de Charles VI de 1403 et 1407, principe rappelé en 1561 par le chancelier de France Michel de L’Hospital.

Rappelons juste que le sacre par lequel le Roi reçoit l’onction du Saint Chrême contenu dans la Sainte Ampoule miraculeuse du baptême de Clovis (du Royaume France avec lui, d’ailleurs) a pour finalité essentielle de manifester – mais non de créer – cette dimension spirituelle propre au Roi de France qualifié d’ailleurs « d’évêque du dehors » ; dimension qui en fait un Roi thaumaturge comme le manifeste le toucher des écrouelles qui suit le sacre, le Roi prononçant sur chacun cette phrase significative : « Le Roi te touche, Dieu te guérisse ».

La devise de l’Ordre, qui exprime son souffle vitale, son orientation spirituelle dans sa nature et dans ses œuvres, se trouve ainsi placée sous ce patronage doublement royal : sous la juridiction, l’invocation et la Grâce du Christ, « Seigneur des seigneurs et Rois des rois »6 et sous la juridiction et la garde paternelles de celui qui pourrait en assumer la Lieutenance temporelle en Terre des Lys le jour où l’Eternel l’aura décidé.

* Sur le côté correspondant à la gravure sur la lame du cri de l’Ordre et du monogramme de la Vierge est émaillée la croix amarante chargée de l’étoile d’or qui traduit spirituellement son nom d’Ordre de l’Etoile et de Notre-Dame du Mont-Carmel, l’enracine dans la dévotion mariale et scelle le patronage de l’Ordre et de ses chevaliers par la Vierge Marie.

Enracinement et protection vivifiés comme un Amen par le cri de l’Ordre lorsque ses chevaliers le proclament haut et fort en union et en réponse avec le Sérénissime Grand Maître

  • la fin des cérémonies solennelles, chacun en recevant un effet de puissance spirituelle et tous, d’une seule voix, le partageant au monde.

Le nom Victrix

Il a été approuvé par S.A.R. Monseigneur le Comte de Paris Duc de France, de jure Henri VII, refondateur et Chef Suprême de l’Ordre.

Pourquoi ce nom ?

  • Ap XVII, 14 et XIX, 16

Certes, parce qu’il incarne la vaillance et la victoire temporelle dans les combats du siècle, exprimant ainsi la virtùs de l’Ordre, laquelle rassemble et potentialise celle de tous ses chevaliers; également parce qu’il fait référence au serment des premiers chevaliers de l’Ordre, notamment lors de sa refondation par Jean II le Bon.

Mais aussi et d’abord, parce qu’il renvoie à la victoire spirituelle dans les combats intérieurs sur le chemin de la foi et qu’il exprime alors la Paix et la Justice qui viennent de Dieu.

Enfin parce que ce nom s’inscrit dans la parole du Seigneur : « Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez courage ! J’ai vaincu le monde »7.

7 Jn XVI, 33

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